portrait de delphine chaigneau
© Ville de Tours - F. Lafite

Portrait de Delphine Chaigneau

L’accordée aux sommets

Delphine Chaigneau, professeure d’EPS au collège Jules-Ferry, entreprend dans un an de gravir le mont Everest, portant ce message : une fille ne doit jamais s’interdire de viser les plus hauts sommets.

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La mémoire à ses crevasses au fond desquelles reposent bien des femmes d’exception, modèles possibles d’élévation. On se souvient mieux des figures masculines plus solidement encordées aux grands récits sportifs. Ainsi, si les unes expirent, comme perdues en chemin, les autres inspirent en nombre.

En février dernier, Delphine et trois amies*, au nom des injustement, oubliées, se sont hissées au sommet du plus haut toit de l’Afrique : le Kilimandjaro. Lampes frontales allumées, allant « polé-polé »* dans la nuit jusqu’à Stella Point (5685 m), elles ont vu poindre un ciel rouge feu ; il embrasait leur joie et l’ultime sentier en lacets menant au pic Uhuru (5895 m). Au rebord du volcan éteint, colossal portevoix, le message de leur association À chacun(e) son toit du monde pouvait entrer en éruption : « On l’a fait ! »

S’encorder aux grands récits

Delphine n’eut aucun mal à s’affranchir de ces treize heures de marche d’affilée en Tanzanie. Majore au concours d’entrée STAPS à Poitiers en 1995, elle se souvient que « nous étions trois filles à occuper le podium ». Ex-pensionnaire du Pôle France Athlétisme, elle était à 20 ans une spécialiste du 400 mètres haies, mais il suffit à quelque esprit chagrin de rappeler que les hommes, sur la même discipline, ont 15 cm de plus à franchir à chaque obstacle, pour inférioriser une performance.

La montagne, elle, s’en moque ; elle impose à tous la hauteur invariable de son sommet, « mobilisant, souligne Delphine, des capacités physiologiques et d’endurance au froid et à l’hypoxie identiques chez l’homme et la femme ». C’est l’envie de la retrouver, cette montagne de l’enfance, de « regagner » la nature, qui la poussera hors de stades finalement trop plats pour elle. Entre-temps, l’athlète aura appris à « sortir de [sa] zone de confort, à se faire mal », en s’alignant neuf ans durant sur des raids multisports, dont le fameux Raid de la Vallée de la Creuse, combinant natation en eaux vives, course à pied, descente en canoë, VTT, tir, traversée sur filin (pont de singe), raid de nuit…

Viendront ensuite ses nouvelles « haies » : le Piton des Neiges à la Réunion (3070 m) en 2003, le Mont Agung à Bali (3031 m) en 2005, le Mont – Blanc (4807 m) en 2007, le tour des Annapurnas au Népal (5416 m) en 2016, Monte Cinto en Corse (2706 m) en 2016, la Vallée de la Marka en Inde avec le Ganda La (4961 m), Kongmaru (5260 m), Stok Kangri (6153 m) en Inde en 2017…

Elle pense déjà à l’Aconcagua (6961 m) en Argentine, mais avant de s’envoler pour les Andes arides, il lui faut ajouter son nom à celui des treize femmes ayant trôné sur le toit du monde, l’Everest (8849 m), « la déesse mère des vents ». « Jonathan Lamy, 25 ans, moniteur de ski à La Plagne, sera le parrain de notre association sur ce projet, c’est une force de la nature ; il a gravi l’Everest deux fois en moins d’un an », avec pour parrain, quant à lui, le célèbre aventurier de l’extrême Mike Horn.

L’ascension du pic Lénine sera un vrai test

Tandis que l’association court après les sponsors, Delphine poursuit sa préparation, ne se contentant pas de ses allers-retours quotidiens de Larçay au collège Jules-Ferry à vélo. « Après le « Kili », l’ascension cet été du pic Lénine (7134 m) au Kirghizistan sera un vrai test », annonce-t-elle. Ascension hautement symbolique, de surcroît.

En effet, en 1974, année de naissance de Delphine, l’URSS avait convié les alpinistes du monde entier à le gravir ; cet événement sportif était censé (déjà) apaiser les tensions entre l’Est et l’Ouest. Une cordée russe exclusivement féminine – une première dans l’Histoire – atteignit le point culminant, mais prises dans une tempête inouïe, les huit grimpeuses ne revinrent jamais. « L’alpinisme féminin est vraiment une chimère sans tête », glosa un alpiniste britannique. Un an plus tard, revanche sur la misogynie, la Japonaise Junko Tabei devint la première femme à gravir l’Everest.

Les forces de l’esprit

« Même s’il y a de plus en plus de femmes sur les camps de base, il arrive encore qu’on m’interpelle : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Delphine fait ce qu’elle sait faire : rester concentrée. Elle a grandi à Châtellerault, sous le haut patronage des deux emblématiques cheminées de sa Manufacture d’Armes (40 et 42 m) et ses armes à elle, elle les a faites depuis longtemps.

Avec 80 000 mètres cumulés d’ascension, elle a « les jambes et le mental », comme la dragonne et le manche de son piolet, indissociables, au bout duquel brillent sa légitimité et sa détermination. Enfin, sait-elle s’accorder aux forces de l’esprit qui n’ont rien de chimériques : ce sont sa famille, ses proches, sa fille Lola, toujours en tête qu’elle a de parfaitement vissée sur la raison : « Je suis quelqu’un de très carré, si quelque chose ne tourne pas rond là-haut, confie-t-elle, je saurai faire demi-tour, sans regret. »

Toute à cette joie sportive de « prendre le départ », elle est devenue son propre starter ; chaque objectif atteint est un coup de feu destiné à réveiller filles ou garçons qui s’interdiraient de viser haut, autant qu’il rend grâce à ses parents. « Ma mère travaillait à l’usine, mon père était artisan. Ils nous auront emmenés, mon frère et moi, autant qu’ils le pouvaient à la montagne » pour en revenir « les yeux pleins d’étoiles », comme lorsque « mon papa, à 10-11 ans, écoutait son frère, de retour du cinéma, lui raconter les exploits de l’alpiniste Walter Bonatti ». Bien avant lui, au sommet du Cervin, il y eut Lucy Walker en 1871, peu aidée dans sa longue jupe de flanelle, morale oblige, mais ce n’était pas là le sujet de la séance.


* Anne-Sophie Perrain, Céline Cambras et Isabelle Navarre.
* « Doucement » en swahili, conseil donné par les guides tanzaniens pour économiser son oxygène

Texte : Benoît Piraudeau
Photos : François Lafite


1 commentaire

  • Femme aux cheveux longs

    Lala - Posté le

    bonne chance Mme Chaigneau

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