Petite enfance, grandes responsabilités

14/02/2023

Petite enfance, grandes responsabilités

 

Les structures petite enfance de la Ville de Tours sont à la pointe dans le soutien au développement du tout-petit.

 

S’appuyant sur l’avancée des connaissances, elles s’attachent à former en  continu les équipes, à mieux accompagner les parents, à valoriser à l’extérieur les bonnes pratiques.

Après trente ans de carrière, Anne Lévy, à la tête de la Direction Petite Enfance depuis deux ans à Tours, peut témoigner de l’évolution des services rendus aux tout-petits en structures  collectives et familiales. À ses débuts, « les parents considéraient les crèches comme un lieu de garde pour pouvoir aller travailler, non comme un lieu d’éveil ». Or, ce glissement conceptuel  préfigurait « une révolution des mentalités et la prise en compte par les collectivités de l’avancée des connaissances sur le développement précoce du tout-petit ». À Tours, ville universitaire, les structures collectives ne manquent pas de relais auprès de Franck Gagnaire, adjoint au Maire délégué à l’Éducation, la Petite Enfance et la Vie étudiante.

De l’infiniment grand dans l’infiniment petit

 

De Catherine Barthélémy, pédopsychiatre spécialiste de l’autisme, première femme nommée à la présidence de l’Académie de médecine, à la thérapeute Élisabeth Morin, experte dans l’accompagnement des familles ayant un enfant en situation de handicap, l’élu et les équipes sont tenus « éveillés ». La formation est continue quant à « la façon d’être et de faire avec le tout-petit, personne à part entière ».

« Les parents sont les spécialistes de leur enfant. »

Neuropsychiatres, spécialistes de l’éducation, acteurs de terrain de l’accompagnement social des parents, pédiatres et praticiens hospitaliers, sages-femmes, ont largement contribué au rapport  de Boris Cyrulnik en 2020, actant l’importance des « mille premiers jours » de l’enfant, pour lui (développement socio-émotionnel) et pour les autres (apprentissage de la vie en groupe).

 

Néanmoins, il s’agit d’être humble : « Si nous sommes des généralistes de la petite enfance, les parents sont les spécialistes de leur enfant », insiste Anne Lévy. « À la collectivité toutefois, la charge importante de mieux les accompagner dans leur parentalité », retient son élu. Autre nuance de taille, « la crèche n’est pas l'école. Un jour, raconte-t-elle, un directeur m’a dit : “ Vous, vous accueillez des enfants. Nous, nous accueillons des élèves ”. Heureusement, les mentalités évoluent. Les directions de la Petite Enfance et de l’Éducation travaillent ensemble à des « projets-passerelles » pour faciliter la continuité éducative. »

Un bassin culturel très attentif

 

Psychologues d’envergure, Sylviane Giampino et Sophie Marinopoulos défendent, de longue date, le bien-être global du tout-petit. Passées par Tours, elles prêchent des convaincus. La première, présidente du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge, alertait au Centre de Vie du Sanitas en 2010 sur le danger des écrans pour le jeune enfant ; elle est, cinq ans plus tard, l’autrice d’un rapport-guide conséquent sur son développement, les modes d’accueil et la formation des professionnels dont la Ville de Tours a pris la mesure ; la seconde, le 27 janvier dernier, à l’Hôtel de ville, plaidait contre la « malnutrition culturelle » et « pour l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans ».

 

En 2019, son rapport interministériel s’est nourri de l’expérience d’Anne-Laure Rouxel, danseuse classique formée à Tours. La compagnie Cincle Plongeur que celle-ci dirige n’a jamais oublié de créer pour le très jeune enfant, s’intégrant à la programmation qui lui est dédiée, produite par la Ville, orchestrée par Marité Clair depuis 2009 à l’Espace Jacques Villeret. « Tours est une ville culturelle et c’est précieux, convient Anne Lévy, la culture étant aussi indispensable pour le jeune enfant que manger, dormir ou bouger. Si nos structures peuvent s’appuyer sur Isabelle Gilbert, référente pédagogique expérimentée, Delphine Andrault, psychologue, Virginie Bonnaud-Le Roux, psychomotricienne, et Mireille Floc’h, infirmière puéricultrice aux missions transverses, elles tirent un grand bénéfice de la présence d’une coordinatrice éveil culturel et d’une intervenante musicienne » (cf. p. 18). Toutes travaillent main dans la main.

Atelier psychomotricite

Les crèches en première ligne

 

Une solidarité intrafamiliale fragilisée et une transmission qui n’est plus systématique entre les générations entraînent un manque de confiance des jeunes parents en leur capacité à s’occuper du nouveau-né.
La crèche les rassure…

 

Bien encadrées et attentives à l’égalité des chances, les crèches pour la génération biberonnée aux « forums de discussions » sont mieux qu’un « tuto ». Il y a des professionnelles avec qui échanger, humainement.

 

Enveloppants pour l’enfant, rassurants pour les parents, ces lieux de socialisation précoce facilitent aussi leur propre insertion.

Par ailleurs, souligne Franck Gagnaire, « les critères lors des commissions d’admission ont évolué ; les crèches ne sont plus réservées aux seuls parents qui travaillent. Un système d’accueil d’urgence, en lien avec la Protection Maternelle et Infantile (PMI), a même été instauré. Nous assurons aussi l’accueil des tout-petits issus de familles en grande fragilité sociale, mais également, comme l’an passé, une cinquantaine d’enfants en situation de handicap. Cela n’est possible que grâce à des équipes impliquées et à la qualité de nos échanges au sein d’un vaste réseau professionnel, incluant le centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP). Nous venons enfin de recruter Fabienne Brandini, médecin attachée hier à la PMI et passerelle entre nos structures et l’école. »

L’enjeu majeur des ressources humaines

 

La pression pour une place en crèche est forte, la liste d’attente augmente (736 demandes en 2021 contre 861 en 2022) et « la frustration est grande, reconnaît l’élu, pour les parents dont les congés parentaux, notamment, s’achèvent en début d’année civile alors que nos structures affichent complet depuis la rentrée de septembre, où un tiers des places sont libérées par l’entrée des plus grands à l’école. » Malheureusement, la pénurie d’assistantes maternelles – phénomène national – accentue la pression alors que la Ville fait face elle-même à des difficultés de recrutement.

 

 

Les raisons sont multiples : obligation de diplôme, mobilité choisie ou contrainte liée à l’usure professionnelle (mécanique et psychologique). C’est pourquoi l’État autorise, depuis août dernier, l’embauche de personnel sans diplôme petite enfance, issu des métiers du sanitaire et social. Franck Gagnaire ne tient guère à y recourir, un choix politique assumé. Les professionnelles de la Petite Enfance, aux compétences bien spécifiques et à valoriser, lui en savent gré.
Elles « œuvrent au quotidien pour maintenir la qualité de l’accueil, des formations en interne et des actions pédagogiques ».

Franck GAGNAIRE adjoint au maire de Tours délégué à l’éducation à la petite enfance et à la vie étudiante.

Atelier psychomotricite

Susciter les vocations

 

Il faut donc attirer du personnel diplômé ou certifié, voire susciter des vocations. L’accueil de stagiaires, des visites dans les écoles (à l’école d’auxiliaire de la Croix-Rouge ou à l’Institut du Travail Social, notamment) ou encore la participation régulière à des forums de l’emploi (citons À LA UNE ceux de l’AFPP* de Touraine) sont hautement stratégiques. « De grandes villes comme Paris et Lyon ont dû, par manque de personnel et comme cela se produit à l’hôpital, fermer des places d’accueil, souligne Anne Lévy. L’enjeu est de conserver les nôtres. Aux côtés de Jérôme Litaudon, coordinateur des Établissements d’Accueil du Jeune Enfant, la gestion des ressources humaines occupe 80 % de mon temps. »
*Association de Formation Professionnelle Polytechnique de Touraine

Les chiffres ont la parole

 

Le budget Petite Enfance avoisine les 15 millions d’euros ; les subventions aux associations oeuvrant dans ce domaine s’élèvent à plus de 400 000 € par an. « Aujourd’hui, à Tours, constate Franck Gagnaire, le nombre de places disponibles pour cent bébés, tous modes de garde confondus, oscille entre 70 et 73 %. La moyenne nationale est de 59 %. » Si ce taux de couverture est bon, si le taux de natalité est stable depuis dix ans, les 727 places proposées par la mairie seront toujours insuffisantes pour des parents sans solution.
S’il s’agit de « maintenir l’existant et les compétences, des améliorations sensibles ont été et seront engagées sur deux points : d’abord dans l’aide aux familles pour trouver le plus rapidement des modes de garde alternatifs, ensuite dans la création de places supplémentaires en lieux d’accueil collectifs, municipaux ou associatifs. »

L’offre Petite Enfance, c’est :

  • 727 places d’accueil municipal
  • Dont 618 en crèche collective (86 en accueil occasionnel) et 109 en multi-accueil familial/collectif (crèche familiale)
  • 226 places en multi-accueils associatifs
  • 442 assistantes maternelles
  • 396 places en structures privées

Le RPE, l’oreille qui manquait

 

« La création d’un Relais Petit Enfance (RPE) en mairie était une priorité, indique l’élu. Ce guichet unique, ouvert en septembre 2021, informe, écoute, échange sur toutes les offres d’accueil. » Accessible sans rendez-vous du lundi au vendredi, le RPE tient une liste actualisée des places disponibles, renseignant en temps réel : « Ce besoin de réponses immédiates nous oblige à être plus performants, plus pointus dans nos échanges avec la CAF, la PMI, les crèches associatives et le réseau des assistantes maternelles agréées indépendantes ou salariées des crèches familiales de Tours », qui, glisse Anne Lévy, « sont une autre forme d’accueil que les parents méconnaissent mais qu’ils plébiscitent ensuite ».
Dans quelques mois, le RPE occupera de plain-pied le 8, boulevard Heurteloup, indissociable du second point soulevé par l’élu : l’augmentation des places, en priorité sur le nord et l’Ouest de la ville.

Accouchement de beaux chantiers

 

Ainsi, la réfection du multi-accueil Europe-Chateaubriand (395 000 €) a fait l’objet d’une inauguration en septembre dernier. Avant travaux, il comptait 20 places dont 10 enfants accueillis en journée complète (accueil régulier ou occasionnel) et 10 enfants en demi-journée en accueil occasionnel (type halte-garderie). Dorénavant, il offre 22 places, 20 en accueil continu en journée et deux en accueil occasionnel, correspondant aux besoins sur le secteur. La structure, avec l’aide de la CAF et du Département, dispose enfin d’un office de cuisine préparant les repas livrés par la cuisine centrale (de même les couches font désormais partie de l’offre de service comme dans l’ensemble des établissements municipaux). Un projet d’extension de ce multi-accueil de 10 places supplémentaires au 6, rue de Tourcoing est en cours de discussion avec le Département.

À l’ouest, beaucoup de nouveau !

 

Les crèches Tonnellé (municipale) et Confetti (associative) seront, quant à elles, reconstruites et réunies sur deux niveaux rue Merlusine. Le bâtiment qui les abrite encore, situé rue Michel-Baugé, date de 1973 ; il subit des infiltrations sur la toiture et en sous-sol. Ce gros chantier d’environ 7 millions d’euros s’achèvera à l’été 2026. À la clé, 7 places supplémentaires. « La parcelle ne nous permettait pas de faire plus, expose Franck Gagnaire, et, quoi qu’il en soit, vouloir tendre vers des crèches type “usine à bébés” contredirait notre éthique de travail. Nous préférons l’amélioration des conditions d’accueil actuelles et un meilleur soutien à nos partenaires associatifs. »
Ainsi, l’association Cispéo, administratrice de Bulle de Plumes, deux Lieux Accueil Enfants Parents pour les 0-6 ans, est accueillie dans le multi-accueil La Petite Gabare et depuis peu dans les locaux périscolaires de l’école Saint-Exupéry.
La crèche associative Sitarine, avec l’aide de la Ville et de la CAF, va par ailleurs entreprendre cette année des travaux au niveau de la cuisine et créer un dortoir supplémentaire. Ainsi, tout en maintenant le même niveau d’agrément à 20 enfants, cela permettra d’augmenter de 10 places le nombre d’enfants accueillis en journée complète, d’élargir les horaires d’accueil, et de fournir les repas qui étaient jusque-là apportés par les parents.
Enfin, l’accroissement de l’accueil ira de pair avec la promotion de nouveaux logements dans le quartier des anciennes casernes Beaumont-Chauveau.

Séance musicale

Le droit à l’émerveillement

 

Bien inspirée par l’action d’associations dynamiques, comme Livre Passerelle (fondée en 1998), la Ville de Tours, littéraire, musicale et universitaire, a tôt défendu l’éveil culturel et artistique du jeune enfant et le promeut plus que jamais.

 

C’était un premier pas, quand la Ville inaugura en 1999 une ludothèque à la Rotonde, ou plutôt, « un atelier parents-enfants autour du jeu », rectifierait après coup Valérie Cinelli.
L’éducatrice accompagne le parent et son tout-petit à travers le jeu tout en soutenant le lien parents-enfants, elle est à l’écoute et les conseille si besoin (jeux de sociétés, échanges, etc.). Référente pédagogique, Isabelle Gilbert l’enseigne depuis longtemps elle aussi : « En jouant et en explorant se construisent l’identité, l’estime de soi ; créer, imaginer, s’exprimer, le jeu le permet, c’est un médiateur de la relation à l’autre. »
« Notre vocation, précise Valérie, est aussi de permettre aux parents de se rencontrer et de rompre l’isolement. » Ne manquant pas d’idées, elle en trouve de nouvelles avec la complicité de sa collègue Mathilde Larue qui, cette année, interviendra « deux fois par mois dans la salle d’attente de la PMI pour permettre aux familles de s’approprier le lieu à travers le jeu et de laisser les portables dans les sacs à main... »

Un poste unique en France

 

Au rez-de-chaussée de la ludothèque, la bibliothèque rappelle, d’entrée de jeu, que le livre est le compagnon idéal du tout-petit et le premier rempart contre la « monoculture » des écrans. C’était déjà pour s’opposer à ceux-là qu’en 2000 une éducatrice fut dépêchée pour voyager dans les structures, avec sa valise pleine de livres. Il s’ensuivra des animations autour de la poésie, puis du goût, et enfin la création d’un poste de « coordinatrice éveil culturel » en 2006, qui « était inédit en France et l’est encore », affirme celle qui, quinze ans plus tard, en a hérité, Ingrid Jouannet.

 

« Une grande partie de mon travail, dit-elle, est de mettre en lien les responsables des structures et nos partenaires culturels pour participer à des projets. » Le plus récent est « Art en crèche » avec le Musée des Beaux-Arts, qui propose ce mois-ci sa seconde exposition itinérante dans les crèches collectives et familiales « à partir de tableaux exposés au Musée des Beaux-Arts et reproduits dans la salle de vie des enfants. Ces derniers et leurs parents pourront ensuite venir les découvrir “en vrai”, guidés sur place par Marie Arnold. » L’historienne de l’art « accueille ce public, par petits groupes, depuis presque dix ans de mars à juillet inclus » ; elle est toujours fascinée par « l’émotion que procurent les tableaux abstraits sur les enfants alors que leurs parents apprécient des oeuvres figuratives ».

Toutes et tous dans la ronde

 

Ateliers danse avec le Centre Chorégraphique National de Tours, aménagements de potagers dans les structures, lectures à ciel ouvert à la Gloriette au début de l’été, plaisir (et appréhension pour certains enfants) de toucher la terre et de se rouler dans l’herbe, etc., les actions loin de fonctionner en vase clos, sont ouvertes aux assistantes maternelles indépendantes, « tenues informées par le Relais Petite Enfance et la Ludothèque ». Fidèles des « tournées » du chœur lyrique de l’Opéra, elles ne manqueront pas la prochaine en juin. En 2022, 12 concerts auront touché 856 enfants (0-4 ans) et 352 adultes.

 

Les temps de rencontre dans le cadre du « Printemps des poètes » en mars sont eux-aussi guettés, tout comme « Petites histoires en musique » en septembre, de concert avec Audrey Marion, diplômée du Centre de Formation de Musiciens Intervenants (CFMI). Les tout-petits connaissent très bien « leur » intervenante musicienne, et sa « valise » à elle : l’étui de son violoncelle. Il n’a « rien d’un juke-box », insiste-t-elle, ni elle d’ailleurs qui s’évertue à composer un moment dicté d’abord par leurs réactions, mouvements, rythmes : « c’est de l’analyse musicale en direct : je propose, ils disposent. »

« Chercher lentement la lumière »

 

Cette posture fait écho à l’enseignement de Maurice Titran, pédiatre engagé, cité par la thérapeute familiale Élisabeth Morin lors d’une rencontre-débat à l’Espace Gentiana : « L’enfant a besoin d’un espace d’intimité suffisant, clair-obscur, qui lui permette de chercher lentement la lumière, lumière qu’il a en lui et qui lui permettra d’accéder à sa connaissance. »

 

C’est ainsi qu’il doit par lui-même rêver et s’extasier, comme en entrant dans l’une des « bulles sensorielles » mises au point par les équipes très investies des crèches Charles Boutard et Tonnellé avec le soutien de la psychomotricienne du service Virginie Bonnaud-Le Roux : « Cette bulle est comme une enveloppe rassurante dans laquelle l’enfant, porté par l’attention bienveillante de l’adulte, a le temps “d’écouter” ses sensations et de laisser libre cours à son exploration. »

Tous les petits, sans distinction

 

La Ronde des notes, née d’une volonté de recréer les liens de parentalité par la musique, mise en place grâce à différentes associations (la Croix-Rouge Unité Locale / Samu Social, Cultures du Cœur et l’Interm’Aide 37), en partenariat avec la Direction Petite Enfance.

 

On y retrouve Audrey Marion mais aussi Julie Boudsocq pour l’Opéra de Tours, lesquelles préparent des ateliers musicaux à destination de mamans exilées et de leurs bébés. Ces ateliers remarquables se déroulent dans les locaux de l’Interm’Aide 37 une fois par mois et résument l’exemplaire humanité de la Petite Enfance de Tours dans son ensemble.