L’éducation artistique et culturelle est entendue comme un projet tout au long de sa vie, et à destination de toutes les tranches d’âge. Au-delà de projets au sein des équipements scolaires (suivi de création artistique en lien avec les classes, accueil en résidence d’artistes), la Ville entend promouvoir et irriguer un peu à l’instar du festival Les Inattendus qui permettait de diffuser des propositions artistiques l’été dernier, d’envisager au cœur des quartiers des ateliers de pratiques artistiques, des projets de création participatifs au-delà de la seule diffusion.
C’est ainsi que l’accueil de La Ligue Slam sur le site des Granges Collières au printemps devrait permettre de convier le public à des ateliers de pratique poétique.
« Ce mandat politique est dédié à l’avancée des droits culturels, insiste Christophe Dupin. En donnant plus de possibilités de s’exprimer, de dire ce qu’on est, quels que soient son origine sociale ou son âge, à travers les actions conduites en de petits lieux de culture et de pratiques artistiques que nous souhaitons plus présents dans les quartiers, nous contribuons à leur application. C’est donner à qui s’en trouvera rapproché, la conscience qu’elle a des choses à transmettre et de sauter le pas en pratiquant un art ou un autre, et c’est finalement apprendre à penser par soi-même. Il y a l’urgence des besoins immédiats : pouvoir accéder à de nouvelles ressources culturelles est émancipateur .
L’accueil de la compagnie La Meute Slam aux Granges Collières (Deux-Lions) au printemps s’inscrit dans cette dynamique. Ses fondateurs, Mr Zurg (lire son portrait) et Yopo en sont heureux : « notre compagnie se donne pour objectifs de développer formations, stages, événements, déploiement de la pratique dans la ville. Il y a beaucoup de choses à faire, à imaginer, à construire. Nous avons créé le championnat de France de Slam en 2011, la finale se déroule ici tous les ans en juin et c’est là aussi que nous avons organisé la rencontre historique entre Grand Corps Malade et Marc Smith, fondateur américain du Slam. Ils reviendront bientôt ».
Entretien avec Yopo et Mr Zurg, de la compagnie tourangelle La Meute Slam
Par Benoit Piraudeau
- Le slam, c’est de la poésie, mais c’est avant tout des scènes qui se partagent. Comment vivez-vous leurs fermetures ? De quelle manière mettez-vous à profit cette période de latence ?
Mr Zurg : C'est assez difficile de ne plus retrouver tous les mois cette dynamique collective et ces moments de partage et d'écoute. Je dis souvent que les scènes slam sont un service public poétique. C’est un manque pour nous, organisateurs, comme pour les slameurs. C’est le cœur de ce que nous sommes qui est en stand-bye mais nous ne sommes pas les seuls en suspens et je relativise. Les scènes slam pour 99 % des slameurs c'est un loisir, une pratique en amateur. Et personnellement je pense que la santé est aussi très importante. Je ne suis pas spécialiste de ce qu'il faut faire ou pas, mais je sais qu'après cette étrange période les gens auront plus encore la conscience de ce qui est important.
Yopo : C’est assez étrange, cela fait 15 ans que nous organisons et animons une à plusieurs scènes par mois, sauf pendant la pause de l’été. C’est un manque évident de lien social, mais c’est ce que le virus attaque. Pour le slam c’est un manque de poésie qui fait du bien en contrepoids des lourdeurs de l’actualité, des bêtises que l’on peut voir ou entendre, des comportements mesquins. Les rencontres slam, c’est le brin de légèreté, la caresse de la plume, l’expression rassurante qui prend l’autre en compte, la parole créative, la dédramatisation, les émotions en prise avec le réel, la nuance… Et tout ça, ça manque énormément. Mais nous voyons les choses du côté positif : nous profitons de cette période pour préparer l'après. Nous avons créé la compagnie La Meute Slam pour restructurer nos activités et les implanter durablement à Tours avec de nouveaux projets que nous sommes en train d’élaborer. Nous avons lancé le site de la compagnie et notre site Zurg et Yopo afin de présenter toutes nos différentes activités. Depuis le deuxième confinement, heureusement nous continuons à intervenir en atelier, notamment en milieu scolaire. Nous restons ainsi en contact avec la parole poétique, la transmission et le partage. Ce doit être plus dur à vivre pour les slameurs et le public des scènes.
- Tours Magazine : Autour de vous, comment réagissent les slameurs ? Comment s’adaptent-ils ?
Mr Zurg : Certains tentent les scènes en visio mais ce n'est pas concluant. L’essence d'une scène slam étant la rencontre, l'échange, l'écoute, c'est assez antinomique avec le virtuel, honnêtement. Pour la pratique professionnelle, là c'est complexe, les artistes qui tournaient sont à l'arrêt, et ont perdu comme nous toutes leurs dates de concerts. Je dirais que ceux qui s'en sortent le mieux, ce sont ceux qui ont une activité pédagogique, en milieu scolaire ou dans d'autres cadres, car pour le moment les choses se passent encore un minimum, les contrats et interventions se maintiennent. Ceux qui vivent de la scène, des concerts, ceux qui sont uniquement sur ce créneau souffrent beaucoup et quelques-uns arrêtent, c'est comme toutes les catégories d'artistes en ce moment qui vivent des spectacles. Certains arrivent à mettre ce temps à profit pour créer.
Yopo : Je suis sûr qu’en ce moment les stylos grattent et les gommes fument
Mr Zurg : Les slameurs reviendront encore plus forts et avec plein de nouveaux textes, quand nous pourrons réaffirmer sur la scène que la poésie de tous est essentielle à l'équilibre du monde et qu'elle a du sens surtout quand elle est partagée.
« La poésie elle aussi est virale » - Mr Zurg
- Comment imaginez-vous la sortie de crise ?
Mr Zurg : Moi je suis optimiste et je le cultive. Je sais que ce n’est pas à la mode mais c’est seulement comme ça que les choses peuvent pousser. Je pense au contraire que les gens seront encore plus en demande, l'après sera encore plus fort je le sens comme ça. L'engagement que les slameurs ont est important, ceux qui organisent le slam ne lâcheront pas l'affaire demain. Nous n’avons jamais été aussi nombreux dans la Ligue Slam de France que ces deux dernières années. Si le slam existe, c’est parce que les gens y sont venus toujours plus nombreux d'année en année. C'est un mouvement populaire qui existe par les gens, pour les gens. Le succès des scènes slam tient à des besoins humains et ces besoins ne seront pas morts demain, bien au contraire. Ils seront encore plus importants. Je considère que la culture n'est pas un truc figé, nous la faisons, parfois seuls, parfois ensemble, la culture c'est quelque chose qui cultive mais aussi qui se cultive. Notre culture slam nous la construisons depuis 30 ans, nous n'attendons pas que d'autres le fassent pour nous. Nous sommes habitués à nous battre pour exister, à faire avec trois fois rien. Nous continuons à construire en ce moment et continuerons après ce virus, ce n’est que le début de l'histoire, pour nous et notre génération. La poésie elle aussi est virale.
Yopo : il y aura peut-être un temps de réadaptation, car pour certains moins on sort et plus on a peur de sortir, le bénéfice du « risque » petit à petit ne s’entrevoit plus. Mais nous sommes des êtres sociaux, c’est encodé en nous, alors cela reviendra. D’autres auront tellement soif qu’ils se jetteront sur les propositions. D’autres propositions émergeront, car on peut faire confiance aux acteurs culturels pour imaginer des formes qui iront chercher et interpeler les publics, y compris les plus défavorisés. Et je pense que les confinements auront fait passer le goût du tout virtuel. Même si c’est un secteur qui continuera de se développer on voit bien que ce n’est pas tenable de rester constamment derrière un écran, de se passer de contact direct. Cela va produire un électrochoc qui restera dans les mémoires et engendrera des réflexions utiles en temps utile. En tous les cas, la sortie de crise, c’est être prêts à redémarrer, à s’adapter à cette nouvelle ère et à répondre aux demandes. C’est difficile d’imaginer ce que sera l’après car collectivement nous avons vécu et nous vivons toujours un choc, il y a aura donc des effets compensatoires, un contrecoup, une catharsis, des nouveaux comportements etc. Il faut être prêt à accueillir et accompagner cela.
- En quoi le slam peut-il « réamorcer » ce désir de culture ?
Yopo : Nous connaissons tous les vertus de la poésie. Elle libère, elle élève, elle représente, elle transmet, elle émeut, elle informe, elle transforme, elle connecte, elle donne à penser, elle change le regard. Le slam donne la possibilité à la poésie de se partager, de bouches à oreilles. Il donne la parole. Il révèle le poème qui est en nous. Il donne l’espace pour exprimer notre humanité, se positionner, s’affirmer dans le groupe. De manière simple et directe. C’est un baromètre social. Je crois que le slam aura toute sa place dans le monde d’après. Sa force c’est de permettre la rencontre de l’autre, dans la nuance et la tolérance. Il pourra répondre de façon cadrée, rapide et aisée à des besoins humains d’échange et de convivialité qui seront encore plus pressants, mais qui existent de tous temps. C’est la réactualisation des veillées d’antan. On se fait rire, pleurer, peur, espérer… on se raconte, individuellement et collectivement. On fait société.
Mr Zurg : À Tours le slam existe depuis plus de 15 ans, nous avons tout construit à la force de notre engagement pour la poésie, pour les gens, pour toutes les valeurs que nous portons à travers le slam. Nous touchons un vaste public mais nous sommes souvent regardés de haut. Il est évident que nous n’avons pas été beaucoup écoutés ou soutenus jusqu’à maintenant. Nous allons l'être plus demain, les choses changent et c’est tant mieux. Nous avons une place à prendre au sein du paysage culturel plus institutionnel. Le slam est un art complet, ce n'est pas un sous genre ou une sous-catégorie, c’est une discipline artistique qui a autant de raison d'être pratiquée que la plupart des autres arts. Alors oui après 15 ans de scènes il est temps d’élargir la proposition aux habitants de Tours, et c’est l’objectif de la nouvelle équipe municipale. Nous rencontrons le soutien des élus pour nous ancrer à Tours. La poésie populaire que nous portons va trouver sa place, ses bureaux, ses points d'ancrage dans la ville pour déployer de nouvelles actions et événements. Notre objectif est d’embaucher pour pouvoir développer la pratique populaire amateur, la pratique professionnelle par la création de spectacles, les ateliers et les formations. Nous faisons tellement avec rien que le jour où nous aurons un peu de soutien, les gens comprendront ce que nous avons à faire et ce que le slam apporte à tous en terme d'accès à la culture, de solidarité, de pédagogie et de renouvellement culturel. Nous sommes la génération des poètes vivants, nous n’attendrons pas que des archéologues nous découvrent, nous comptons bien être là encore longtemps.
« Sans culture nous sommes
des enfants sauvages, exclus,
prisonniers d’un no man’s land. » - Yopo
- Qu’est-ce qui fonde la légitimité de Tours à devenir une « capitale du slam » en France ?
Mr Zurg : Sa volonté, déjà. Ensuite Tours est un centre pour le slam français depuis longtemps. Il ne s’agit pas de dire que d'autres villes sont moins actives, mais c'est en Touraine qu'est basée depuis sa création la Ligue Slam de France - réseau national. En 2021 elle prendra ses quartiers à Tours même. Nous y organisons nos assemblées générales, les Coupes de France etc… Grand Corps Malade est membre d’honneur de la Ligue et la soutient dans ses actions. Les slameurs français sont pratiquement tous venus ici au moins une fois, la ville est bien située et nous avons toujours été très dynamique ici. Capitale du Slam, pourquoi pas, la ville peut le devenir si elle aide la pratique à se développer. Nous sommes en train de travailler aux futurs bureaux de la Ligue et de la Compagnie La Meute Slam avec la ville de Tours, avec pour objectifs de développer beaucoup de choses, formations, stages, événements, déploiement de la pratique dans la ville. Il y a beaucoup de choses à faire, à imaginer, à construire. La ville de Tours nous aide à la structuration de nos nombreux projets en cours comme créer un centre de ressource national sur le slam de poésie dans nos futurs locaux.
Yopo : Pour le slam français, Tours déjà une ville capitale. C’est ici que nous avons créé le championnat de France en 2011, c’est maintenant à Tours que la finale se déroule tous les ans en juin. C’est là que nous avons organisé la première rencontre historique entre Grand Corps Malade et Marc Smith, le fondateur du Slam. Nous l’accueillons souvent, il participe à nos scènes, à nos ateliers. Il aime beaucoup la Touraine et la ville de Tours, nous lui avons fait visiter beaucoup de choses ici. Il reviendra bientôt. Nous sommes amis maintenant et il encourage notre installation officielle dans la ville. Nous travaillons à d’autres projets avec lui, entre autre pour transmettre son œuvre et la mémoire du mouvement. Tours est une terre de poètes, elle peut devenir la terre des poètes vivants d'aujourd'hui et de demain. Tours va vibrer au rythme de la parole poétique partagée et se positionner comme une ville majeure pour le slam. Si tous nos projets se réalisent elle deviendra un pôle important et rayonnera au niveau national et même mondial.
- En quoi, finalement, et en quelques mots, la culture est-elle un bien essentiel ?
Yopo : la culture est un fait social, un produit et donc une condition de notre humanité. Si elle est bâillonnée, étouffée, empêchée, elle fait cocotte-minute pour exploser de plus belle là où on ne l’attend pas. Il vaut donc mieux la laisser s’exprimer. Sans culture nous sommes des enfants sauvages, exclus, prisonniers d’un no man’s land.
Mr Zurg : la culture c'est l'expression du vivant, c’est la mémoire du passé, du présent et du futur, dans ce sens elle est un bien essentiel, elle s'exprime et se réinvente toujours avec ou sans cadres officiels car elle est ce qui nous relie.