Patrimoine ancien : hautement stratégique !

12/10/2021

Exemple : es travaux concernant la résidence Labadie visent 73 % d'économie d'énergie.

La réhabilitation du logement ancien est lourde d’enjeux pour les collectivités et leurs bailleurs. À Tours, des plans de sauvegarde du patrimoine engagent des travaux complexes, exigeant vision globale et sens du détail.

 

Aujourd’hui, plus de 80 % du parc de Tours Habitat affiche l’étiquette énergie A, B ou C, à partir desquelles il est possible de prétendre à des aides financières pour les bailleurs. « C’est pourquoi dans les appels d’offres, nous avons relevé les critères de respect de l’environnement », indique Marie Quinton, adjointe au maire déléguée au logement et membre du conseil d’administration de l’Office Public de l’Habitat. « Depuis une dizaine d’années déjà, précise Grégoire Simon, son directeur général, nous poursuivons le remplacement des menuiseries extérieures ».

Si l’État conditionne ses aides à des solutions industrielles « performantes et réplicables »*, pour rénover massivement et rapidement, sur le terrain, la réalité est plus complexe. « Chaque typologie de bâtiment requiert une solution différenciée qui doit, de plus, respecter le patrimoine », alerte ainsi Fabien Gantois, président de l’ordre des architectes d’Île-de-France. Et Grégoire Simon d’en convenir : « l’industrialisation de la rénovation est synonyme d’isolation thermique extérieure (ITE). Systématiser le procédé abaisserait ses coûts, mais les façades pourraient bien finir par se ressembler toutes ».

 

Au Sanitas, classé Architecture contemporaine remarquable du xxe siècle, la question ne se pose pas, l’architecte des Bâtiments de France est « souverain » : pas d’ITE recouvrant le tuffeau historique, le recours à l’isolation intérieure prévaut, « non sans difficultés dans des logements habités dont on réduit de facto la superficie », précise Grégoire Simon, la main sur un autre levier : « le système de chauffage, avec raccordement à la chaufferie biomasse de Saint-Pierre-des-Corps ». Entre les résidences Séverine et Labadie, pour exemples présents, des « solutions différenciées », pragmatiques, prévaudront : ITE à partir de matériaux biosourcés (laine de bois) pour l’une avec gain de 48 % d’économie d’énergie, et pour l’autre, située en secteur sauvegardé, de l’isolation intérieure et des menuiseries en aluminium, avec un gain de 73 % d’économie d’énergie.

Effets de la mondialisation

 

Cependant, la présente pénurie est problématique : « pénurie de bois et d’acier. Même de plaques de plâtre, alors qu’on les produit en France !, s’agace Grégoire Simon. Quand les USA surtaxent ce qui vient du Canada, leurs entreprises se rabattent sur l’Europe ; la Chine, pour se relancer, fait de même ». Résultat : « des prix non maîtrisés, des délais d’approvisionnement fortement rallongés ». Franck Sourbier, responsable technique de Tours Habitat, constate : « sur les changements de menuiseries, les délais avant Covid étaient de huit semaines… Aujourd’hui, c’est douze à seize semaines. Pour la laine de bois, on nous annonce six mois de délai, nous obligeant à un repli sur de la laine de verre ou du liège. Et tout le monde fait ça… ».

 

Coeur de ville, coeur du problème

 

« La consommation d’énergie primaire de la résidence Jacquemin sera, après travaux, inférieure à 80 kWh/m2/an », se réjouit Jean-Michel Morisseau, directeur du patrimoine, de la maîtrise d’ouvrage et de l’innovation de LIGÉRIS. Lui aussi s’accorde à dire que chaque cas est affaire de combinaisons techniques : « l’isolation de la toiture, l’installation d’une VMC hygroréglable, le raccordement à des chaudières basse température, l’ITE (avec matériaux biosourcés), doivent s’accorder entre elles et la réhabilitation doit être l’occasion, comme ici, d’installer une porte automatique sur le hall pour permettre un accès aisé aux personnes à mobilité réduite, ou pour les familles, avec poussettes ». Enfin, la pertinence de chaque « amélioration » envisagée est questionnée. En effet, précise J.-M. Morisseau, « à quoi bon, par exemple, défaire une isolation pour l’épaissir de quelques millimètres si le gain en terme d’économie d’énergie ne compense pas la dépense d’énergie polluante produite dans la mise en oeuvre de ce changement ? ».

 

L’arbre qui cache la forêt

 

« La résidence Jacquemin, dont les travaux débuteront l’année prochaine, fait partie du plan stratégique de patrimoine (PSP) de LIGÉRIS acté en 2019, rappelle Marie Quinton, en sa qualité de présidente de cet autre bailleur important de Tours. Cette planification nous permet de savoir de quelle manière traiter, techniquement et humainement, chaque situation ».

 

D’un montant de 265 millions d’euros (7 594 logements concernés), c’est « une vision globale ambitieuse et minutieuse ». Reprenant sa casquette d’adjointe déléguée au logement, l’élue semble moins arcboutée sur l’innovation qu’attentive « aux locataires modestes d’un patrimoine en coeur de ville, négligé depuis une trentaine d’années, et dont LIGÉRIS a hérité [après que La Tourangelle Immobilier a absorbé la SEMIVIT en 2019, ndlr] ». Logée rue du Petit Saint-Martin, Martine confirme : « l’électricité n’est pas aux normes, je connais ma chaudière depuis vingt ans, les fenêtres ne sont pas isolées, et encore je ne vis pas aux derniers étages où l’on souffle de la chaleur. Contrairement à une idée préconçue, précise-t-elle, les locataires du Vieux-Tours ne se renouvellent pas vraiment. Quand nous avons un logement à un prix "raisonnable", impossible d’envisager un retour dans le privé. Avec ma retraite, je n’imagine pas dépenser 700 à 800 euros par mois pour un F3. Alors, vous finissez par accepter l’inconfort. » Sur cette résidence, après le passage d’un architecte (secteur sauvegardé oblige), des travaux ont été programmés pour les prochaines années, « toujours dans le cadre de ce PSP, précise J.-M. Morisseau, avec, entre autres, le remplacement des menuiseries extérieures, l’isolation des combles, la réfection de l’électricité des logements, le remplacement d’équipements sanitaires, l’amélioration e la ventilation, l’embellissement des parties communes et le nettoyage des façades ». De l’attention à l’action, l’axe stratégique de la réhabilitation tient à cette trajectoire.

 

*Appels à projets MassiRéno du gouvernement

© Ville de Tours - F. Lafite

Marier les techniques : la bonne recette

 

« Nous devons utiliser chaque matériau à bon escient en fonction de ses propriétés, du lieu et de son exposition, indique Jean-Michel Morisseau. Selon celle-ci, le bois peut vieillir différemment et être inesthétique, créer d’autres pathologies sur le bâtiment. Il faut, pour être performant, marier entre elles les solutions techniques et utiliser leur qualité (pour le bois : isolation, filière sèche, rapidité de mise en oeuvre du bois et pour les matériaux denses : inertie, solidité).

 

Enfin, sachons rester attentifs aux avancées opérées à l’intérieur des filières. Par exemple, les bétons évoluent très fortement, notamment en réemployant les déchets de hauts fourneaux et en supprimant la cuisson pour la fabrication du ciment ».