La culture est rendue vivante par les artistes qui l’incarnent.
D’un tiers-lieu au pignon d’un immeuble, des trajectoires individuelles s’entremêlent et stimulent. Entre les habitants et eux, la collectivité entend ajouter un trait d’union : la rue elle-même.
En région Centre, les Ateliers de la Morinerie, à Saint-Pierre-des-Corps comptent le plus d’artistes au mètre carré. Des ex-étudiants de l’École des beaux-arts et du design de Tours y ont fondé le collectif Bruit Dissident, « adepte du pas de côté » et des expositions dans des lieux inattendus.
C’est à leur invitation que le metteur en scène de théâtre José Manuel Cano Lopez (quarante-cinq ans de carrière) a raconté le destin du château du Plessis qu’en 1998 le « Tourangeau-Andalou » faisait muer en « auberge espagnole » des arts sur laquelle plane encore les ombres de Louis XI (600 ans l’année prochaine) et du dramaturge Federico García Lorca.
« Rien n’est plus vivant qu’un souvenir », écrivait ce dernier et c’est l’enjeu d’un tiers-lieu tel qu’est devenu Le Plessis, « commun culturel et humaniste » : la mémoire vive des belles choses s’y construit collectivement. Compagnies de théâtre, de danse, associations d’artistes-plasticiens, croisent musiciens diplômés de Jazz à Tours ou comédiens en herbe des ateliers pour enfants, adolescents, en situation de handicap.
Accompagné par la Ville, « le Plessis, pépinière d’artistes, lieu d’éducation populaire, artistique et culturelle, est le modèle d’outils que nous voulons promouvoir », souligne Christophe Dupin, adjoint au maire chargé de la culture.
De l’harmonie dans le chaos
Rubin Steiner voisine celui de Grande, l’une de ces formations musicales qui, avec une régularité métronomique, sont lauréats du FAIR, et bénéficient de tournées et de passages en radio (Toukan Toukän, Mesparrow, Sugar Plum Fairies, etc.).
Au milieu d’eux, sorti de sa « grotte pariétale », un peintre lave ses pinceaux : c’est Guillaume, alias Nep-, qui de l’underground aux galeries d’art a fait son trou. « Nep-, c’était la référence au Népal d’une vieille adresse mail, je trouvais que cela sonnait bien. » Mine de rien, celle-ci énonçait le risque majeur de toute ascension artistique : le manque d’oxygène financier.
Guillaume a longtemps tourné autour du pot avant de se lancer, sans autre choix que de jeter cette idée fixe sur la toile, et de vider les tubes comme on se vide la tête. Le tableau reflète l’état du squat : l’enfant, qui peinturlure, dispute à l’adulte, qui ordonne, le monopole des chaos intérieurs, et l’artiste cherche à les réconcilier, rien de plus aléatoire. L’unique trait sûr de lui-même est le dernier qu’il pose : le tiret de Nep-, tout ce qui reste de son double patronyme (Paul-Loubière) effacé, « no future », au profit de l’« acronyme de Nul En Peinture », précise-t-il, trahissant quelque accent punk, skate et rock’n’roll équivalent, à Tours, à un « trait d’union ».
Le po(s)te de transmission
Au lycée Balzac, Guillaume eut pour professeur d’arts plastiques Jean-Claude Lardrot, peintre reconnu. « Je suis ce fou qui s’accroche à la peinture parce qu’on a retiré l’échelle des valeurs », se résumait celui qui, l’art de transmettre.
À l’écoute, une autre de ses anciennes élèves, Claire Diterzi : « Jean-Claude était mon prof en arts appliqués au lycée Choiseul. Il me faisait des cassettes audio et m’a fait découvrir des choses incroyables (pour ne pas dire qu’il a fait mon éducation musicale !). Il contribuait également à la propagande de mon groupe Forguette-Mi-Note en faisant des photocopies des tracts du groupe pour annoncer un concert par exemple. Il adorait ce groupe et en a fait une série de tableaux, plus tard il a peint une toile me représentant en Odalisque pour le livret de mon album Tableau de chasse (2008). » La Tourangelle, passée de la scène punk-rock au circuit des théâtres nationaux, deviendra, deux ans plus tard, la première artiste de musique actuelle à intégrer la Villa Médicis. Elle y composera Le Salon des Refusées,
salué par la critique.
Follement accessible
Du Salon des Refusées au Salon des Détraktés, il n’y a qu’un pas que Seb Russo, peintre lui aussi, n’a pas encore franchi. Pour l’heure, Trakt, revue d’art brute et singulière qu’il a créée à Tours, est une autre histoire de fou… En 17 numéros, elle est devenue la référence pour les amateurs d’art brut, la Halle Saint-Pierre, le musée de la Création Franche à Bègles, la Collection de l’art brut de Lausanne ou encore le CCC OD. Tirée à 250 exemplaires autofinancés (et à la recherche de mécènes pour monter en puissance), elle vient d’apparaître au milieu des sponsors officiels du grand salon parisien Solid’Art. Après avoir gravi, à grande vitesse, les marches de la reconnaissance, son fondateur, atteint de la myopathie de Becker, et qui ne peut monter un escalier, rêve donc à ce Slon des Détraktés, le plus follement accessible.
L’art dans la rue
Retrouvant l'autodidacte Dominique Spiessert dont il appréciait l'univers à distance lorsqu’il vivait à Dijon - " il peint sur tout et n'importe quoi " - , Seb Russo a participé avec lui aux Chantiers dela Création du Haut de la Tranchée, ne séparant nullement, à ciel ouvert, " ceux qui savent " de ceux qui n'ont pas eu cette chance de recevoir une éducation artistique. "C'est ce rapprochement qui nous importe, déclare Christophe Dupin. Peuvent y contribuer l’émergence de tiers-lieux (tels Les Beaumonts, récemment inaugurés), un soutien à la création et à la diffusion des esthétiques les moins présentes sur Tours, et des projets œuvrant à l’avancée des droits culturels. Suivant cette ligne, citons le dispositif Arts à l’école ou le festival Les Inattendus. »
Conçu dans l’urgence en soutien aux artistes et aux habitants ayant souffert des confinements, Les Inattendus, de
retour à l’été 2023, fera « la part belle aux arts urbains (arts plastiques, théâtre de rue, danse urbaine, street art, etc.) et aux ateliers d’initiation à la pratique artistique ».